Etude : DÉCRYPTAGE DES FILIÈRES D'EXPERTISES PROPULSANT L'INDUSTRIE FRANÇAISE VERS L'EXCELLENCE

Les premières filières d’expertise ont émergé entre la fin des années 80 et le milieu des années 90. Dans un contexte particulier de sortie de crise, de nouveaux impératifs en matière de gestion financière des activités et de pilotage budgétaire des ressources ont été mis en place afin de suivre et mesurer l’efficience des organisations. Cela s’est notamment traduit par une structuration accrue de la gestion et de la traçabilité des activités, mais aussi par l’intensification des rythmes de production et la recherche constante d’optimisation. 

Dans ce contexte, plusieurs constats ont été établis, notamment au niveau des évolutions de carrière. En effet, la voie classique de reconnaissance et d’évolution dans les entreprises passe par la prise de responsabilités managériales. Ainsi les collaborateurs valorisés dans des postes de managers doivent partager leur temps entre leurs nouvelles responsabilités de management et le développement de leur expertise technique. Assez rapidement, cette double activité entraîne une baisse de la qualité et des performances tant techniques que managériales. Face à cette tendance, les entreprises identifient un nouveau besoin majeur qui est celui de sécuriser les compétences stratégiques et fidéliser les collaborateurs ayant un haut niveau d’expertise permettant la continuité et la pérennité des activités. Ainsi, les filières d’expertise ont fait leur apparition dans l’objectif d’offrir une nouvelle voie de reconnaissance et d’évolution tout en valorisant et sécurisant les domaines d’expertises critiques directement liés aux performances de l’entreprise. 

une filiere expertise en action pour securiser les expertises

Nous vous proposons quelques bonnes pratiques pour mettre en place ou dynamiser votre filière d’expertise. Ces recommandations sont issues d’une étude approfondie que nous avons réalisé auprès de plusieurs acteurs de l’industrie française qui ont mis en place des filières d’expertises tels que : Arcelormittal, Safran Group, Air Liquide, l’IRSN, Alstom, Framatome, Thales, Liebherr Aerospace, Engie, Orano, Airbus Commercial et Schneider Electric. Cette étude a permis d’identifier des facteurs clés de succès, des recommandations à suivre et des risques à anticiper dans une démarche de valorisation des expertises et de gestion des connaissances techniques.

IDENTIFICATION ET SELECTION DES EXPERTS ET CARTOGRAPHIE DES DOMAINES À SÉCURISER

Afin de créer une filière d’expertise qui permet de préserver les savoir-faire et connaissances en offrant des opportunités d’évolutions gratifiantes, il est tout d’abord nécessaire d’identifier les experts concernés par le parcours, ainsi que d’appréhender chacun des domaines d’expertise à traiter dans la démarche. 

En moyenne, dans l’étude, les experts représentent entre 8 à 15% de la population des entreprises et sont principalement des cadres scientifiques et techniques, des ingénieurs, et des personnes faisant partie du service R&D. De plus, au-delà des compétences techniques, les experts sont aussi sélectionnés en fonction de leur savoir-être (notamment sur ses aptitudes relationnelles, son aisance de communication, sa capacité à transmettre et à former ses équipes,…). 

Parmi les critères de sélection qui sont pris en compte pour intégrer la filière d’expertise, il est possible de citer : 

  • Le leadership : l’incarnation d’une vision motivante qui promeut les valeurs de l’organisation, la capacité à créer un environnement stimulant en faveur de la croissance et à développer une démarche d’amélioration continue en démontrant d’une écoute active.
  • L’Orientation client et Business Development : l’expertise est exploitée au service de la continuité des activités, des objectifs commerciaux et de la satisfaction client. De plus, elle doit être accessible afin de faciliter la prise de décision et la résolution de problèmes à tous les niveaux de l’organisation.
  • Les compétences techniques : la capacité à maintenir et développer son niveau d’expertise dans un domaine spécifique permettant notamment la résolution de problèmes complexes.
  • La transmission de connaissances : la capacité à partager, transmettre et former en continu les collaborateurs, et enrichir le référentiel d’expertise. l’expert doit être en mesure de se mettre au niveau de ses interlocuteurs pour susciter, développer un vivier d’experts et s’assurer de la bonne capitalisation et transmission des savoirs.
  • L’innovation et la R&D : la capacité de développement de nouvelles approches et de  nouvelles solutions innovantes, être force de proposition sur les évolutions du domaine d’expertise et piloter de nouveaux projets et axes de développement. 
  • La reconnaissance interne et externe : l’expert est une référence dans un ou plusieurs domaines et il est identifié en tant que tel au sein de son entité ainsi qu’auprès de ses pairs en externe.

Dans le panel d’étude, aucunes contraintes d’âge ou de nombres d’années d’activités ne sont formalisées pour l’entrée dans la filière ou le passage de niveau. Toutefois un temps minimum de pratique et d’expérience est nécessaire pour satisfaire aux prérequis des critères d’expertise et du niveau de maîtrise attendu. La sélection doit être fondée sur le mérite et sur les critères définis en amont par le groupe qui permettent d’assurer la crédibilité de la filière. Il est toutefois recommandé de mener une politique d’incitation à la création d’un vivier d’experts, dans le cadre de la politique de mixité (égalité femme/homme, localisation géographique,etc).

L’identification des domaines d’expertise est un élément central de la constitution de la filière : Il s’agit de cartographier les domaines d’expertises critiques pour la continuité ou le développement d’activité de l’entreprise afin d’en confier la sécurisation à des experts. Cette cartographie est alimentée par la stratégie d’entreprise à moyen et long terme. 

La cartographie s’intéresse aux domaines de connaissances et de savoirs qui sont spécifiques et uniques et qu’il faut donc sécuriser. Elle permet de sélectionner les domaines prioritaires sur lesquels il est nécessaire d’assigner et de missionner un ou plusieurs experts.

Cette cartographie d’expertise représente ainsi un véritable outil de pilotage stratégique dans la démarche de nomination des experts et facilite la gouvernance de la filière.

STRUCTURATION, ANIMATION ET VALORISATION DE LA FILIÈRE D'EXPERTISE

La mise en place d’une filière d’expertise implique de définir quelques règles d’organisation et de pilotage de projet. 

Dans un premier temps, concernant le processus de sélection des candidats au-delà des critères d’identification évoqués dans la partie précédente, les campagnes de recrutement peuvent se dérouler sur des temporalités annuelles ou biennales. La candidature doit être volontaire de la part de l’expert, mais soutenue par le management. Dans certaines entreprises, elle doit aussi être appuyée par des recommandations internes ou externes. 

Concernant la durée de nomination des experts au sein de la filière d’expertise, les pratiques diffèrent. Une partie des organisations étudiées définissent une durée limitée et renouvelable (avec une durée moyenne de 2 à 5 ans). À l’inverse, une seconde partie de celles-ci n’ont pas défini de durée d’attribution. Dans le second cas, la contrainte est de pouvoir challenger l’expert dans le temps. 

Afin que la filière d’expertise puisse remplir son objectif de valorisation et de sécurisation des domaines d’expertise il convient de mettre en place des moyens de reconnaissance cohérents pour les experts. Les pratiques peuvent être hétérogènes. Certaines entreprises adoptent une approche centralisée de manière cadrée et pilotée par la gouvernance et d’autres optent plutôt pour une approche décentralisée fondée sur une recommandation avec implémentation laissée à la discrétion du manager et des RH. 

Toutefois, il existe ici une bonne pratique qui est l’attribution d’une rémunération (fixe ou variable) équivalente à l’existant côté progression managériale, selon le niveau de l’expert. Par exemple : la rémunération de l’expert Senior qui équivaut à la rémunération d’un top manager. De plus, il est conseillé d’ajouter une prime à chaque passage de niveau ou en cas de reconduite du titre afin d’encourager l’engagement des parties prenantes dans la gestion et transmission des savoirs. Enfin, afin de renforcer la politique de fidélisation des experts, les RH  et managers peuvent aussi mettre en place des actions de valorisation complémentaires telles que des augmentations annuelles spécifiques, des primes sur objectifs et des accompagnements spécifiques dédiés aux experts pour faciliter leur évolution au sein du groupe. 

Concernant l’organisation hiérarchique, plusieurs pratiques communes sont identifiées. La première est de bien appréhender l’expertise en tant que mission et non en tant que poste à part entière. En effet, l’expert reste généralement associé à son poste et conserve sa place hiérarchique en intégrant la filière d’expertise. Son engagement dans la filière implique des responsabilités qui sont complémentaires à son poste. Ces nouvelles responsabilités peuvent être formalisées dans une lettre de mission. 

Une deuxième bonne pratique est d’éviter le cumul du rôle d’expert avec celui de manager. En effet, l’objectif de la création de la filière d’expertise est d’offrir une voie d’évolution parallèle à la filière managériale, il faut inciter les candidats à faire un choix pour mener à bien et au mieux l’une ou l’autre de leur mission. Ils pourront toutefois naviguer d’une filière à l’autre s’ils en remplissent les critères d’intégration. Ainsi, les experts au plus haut niveau de la filière de par leur expérience et leurs connaissances peuvent occuper des postes stratégiques, centraux et transversaux avec des hautes responsabilités, proche des comités de direction. 

Afin d’accompagner au mieux la démarche, il est indispensable de nommer un comité de gouvernance soutenu par un sponsor à haut niveau de décisions (membres de la direction) et des relais opérationnels au sein de chaque entité. Cela permet de crédibiliser la filière et de favoriser son développement. Au sein du comité de gouvernance il est possible de retrouver des représentant RH qui assurent la cohérence des modalités de reconnaissance et d’évolution, des représentants top managers qui sont garant des enjeux stratégiques, ils s’assurent également que la filière répond à la vision business et managériale et ils exploitent les connaissances issues de la filière et enfin les experts du plus haut niveau qui contribuent à définir les orientations de la filière en respectant la vision stratégique et qui sont garants du bon fonctionnement et développement de cette dernière. 

La filière d’expertise n’est viable que si elle est animée régulièrement. En effet, le comité de gouvernance la fait vivre au quotidien en pilotant des actions diverses pour qu’elle porte ses fruits en continu. Parmi ses actions, il y a notamment le suivi régulier des réalisations des experts en s’assurant qu’elles sont en adéquation avec les attentes de l’entreprise. Il existe également des outils indispensables au pilotage de la filière tel qu’un annuaire des expertises qui est mis à jour régulièrement en fonction des évolutions de compétences. Celui-ci doit être accessible et mis à la disposition de tous.

La formation fait également partie des activités d’animation essentielles, notamment à l’entrée de la filière pour sensibiliser aux rôles et à la mission de l’expert ainsi que sur l’importance de la bonne gestion et transmission des connaissances. Elle peut également se faire de manière plus régulière à la carte selon les niveaux et besoins afin de s’assurer que les experts développent leur leadership et partagent leurs savoirs. 

Il est intéressant d’animer la filière avec des événements comme par exemple des journées dédiées à l’expertise qui sont un bon moyen de rassembler les experts et d’enrichir les réflexions et les projets de chacun. Grâce à cela, les experts entretiennent un lien communautaire avec un sentiment d’appartenance, ce qui contribue à leur fidélisation. De plus, il est également pertinent d’organiser des temps d’échange entre les experts et les managers afin de communiquer sur les projets de la filière, partager les enjeux managériaux et afin de s’assurer que les actions de la filière y répondent de manière alignée à la vision stratégique globale.L’animation de la filière d’expertise doit inciter les experts à devenir des représentants de leur domaine, à diffuser leurs connaissances aux équipes et à accompagner la montée en compétences des collaborateurs.

Enfin, une dernière bonne pratique dans l’organisation de filière d’expertise est de mettre en place une charte d’expertise ou une politique d’entreprise d’expertise. Elle encadre et formalise les différents éléments structurels de la filière d’expertise.

La définition de l’expertise et des domaines stratégiques concernés  

  • Les critères principaux d’expertise et les attendus vis-à-vis de l’expert
  • Les engagements de l’entreprise pour accompagner les experts dans leur mission 
  • Les enjeux de mise en place de la filière
  • La cartographie des domaines d’expertise 
  • Les processus de candidature et les critères de sélection
  • Les modalités d’évolution dans la filière 

Cette charte est un moyen efficace de clarifier les fondamentaux et donne de la crédibilité pour valoriser la filière. De plus, elle permet que toutes les parties prenantes disposent d’un référentiel commun sur les objectifs ainsi que sur les bonnes pratiques à suivre ainsi que celles à éviter. 

En conclusion, cette étude a permis de mettre en évidence plusieurs bonnes pratiques pour vous orienter dans le processus d’identification et de sélection des experts, ainsi que des domaines de connaissances. De plus, elle offre des conseils pour la mise en œuvre opérationnelle de la filière, couvrant son organisation, sa structuration et l’animation de ses activités. 

Désormais, il est possible de synthétiser la démarche de mise en place d’une filière d’expertise à travers des briques constructives essentielles tels que la cartographie des domaines, la charte d’expertise, les niveaux d’expertise et critères d’évaluation, le processus de candidature et de passage de niveau, le système de reconnaissance, l’accompagnement des experts, l’animation de la filière, le comité de gouvernance, les rythmes et chemins de progression ainsi que le déploiement qui inclut la transformation, la communication et les indicateurs. 

Le développement et l’ajustement de ces éléments se font en fonction de vos orientations et objectifs stratégiques, inscrivant la démarche de filière d’expertise dans un plan d’amélioration continue pour adopter un modèle agile évolutif en réponse aux différents besoins de l’organisation.

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